Extrait de la thèse présentée par Young Geol KIM, soutenue le 18 juin 2019
(…) Les guerres passées continuent à influer sur notre vie quotidienne d’aujourd’hui. La façon de vivre notre vie quotidienne est la façon même de mener nos guerres personnelles pour survivre. Si le but de la guerre est la paix, le but de la vie serait le bonheur. Mais si chacun ne poursuit que le bonheur de soi-même en le considérant comme le bien suprême, mon bonheur se heurte inévitablement au bonheur d’autrui. Parce que, bien qu’il y ait le bonheur autour de nous, chacun veut acquérir le bonheur qui est au sommet de la pyramide sociale. À présent, l’humanité connait une prospérité sans précèdent grâce à la révolution agricole, à la révolution scientifique, et à la révolution industrielle. Mais il y a la caractéristique consolidée de l’être egocentrique avec l’attachement au « moi » et à « mon propre lieu » derrière l’abondance, la sécurité, et la commodité. On dit que nous gagnons « notre » vie, veillons sur « les nôtres », luttons contre la maladie pour garder ou élargir « notre » bonheur. Ce bonheur pour le futur plutôt qu’au présent peut pourtant être justement ce qui nous détache de l’autre. Le je fait semblant délibérément d’ignorer le fait que le je a intercepté la place de l’autre sous le soleil à cause de l’avidité qui ne croit qu’à mon bonheur. L’autre se prélassait déjà au soleil. Le je doit s’ôter de son soleil.
Levinas dit que « l’être a toujours à être, l’être est conatus essendi – dans la vie être veut dire tout de suite guerre »1. Alors, la guerre, n’est-elle pas ce qui est la manifestation de notre vie ? La guerre ne commence-t-elle pas déjà dans le moi qui exalte son propre être – en persévérant dans son être, en se préoccupant de soi-même ? Les individus pensent chacun à leur propre sort, à leur propre bonheur et ces individus sont ensemble. « Chacun d’entre nous qui persévère dans la complaisance de soi, l’allergie des autres, a une façon d’être ensemble avec les autres qui s’accommode de l’égoïsme de chacun »2. Le moi risque plutôt son être pour le bonheur. Le moi qui se soucie d’occuper l’aire de mon être est égoïsme. Et, il est confusément avec l’autre égoïsme qui apparait de la même manière. Dans cette situation, la guerre est inévitable. « La vérité du réel, de tout être, de l’être en général, c’est la guerre. Telle est la donnée la plus originaire, la plus évidente. Nous commençons tout dans et par la guerre »3. Levinas cite souvent l’admirable formule de Pascal : « Ma place au soleil, c’est l’image et le commencement de l’usurpation de toute la terre ! » Puis-je revendiquer triomphalement une place au soleil ? « Ma place au soleil » est-ce légitime ? Il faut que je tienne compte du fait de pouvoir priver tous les autres de leur place. Pour ma terre, mon lieu, mon « Dasein », ma revendication qui comporte « une indécence et une violence » déclarerait la guerre avec des êtres sans penser au pour- l’autre. « Comme si le moi empêchait, du fait de sa position même, la pleine existence d’autrui, comme si en s’appropriant quelque chose, il risquait de l’avoir ôté à quelqu’un »4.
1 - Emmanuel Levinas, « L’intention, l’évènement et l’Autre : Entretien avec C. von Wolzogen », in Philosophie, Paris, Les Éditions de Minuit, 2007/1 – n°93, p. 17. 2 - Félix Perez, Apprendre à philosopher avec Levinas, Paris, Ellipses, 2016, p. 193.
3 - François-David Sebbah, Levinas : Ambiguïtés de l’altérité, Paris, Les Belles Lettres, 2003, 2e tirage, p. 36. 4 - Emmanuel Levinas, « Le philosophe et la mort », in Altérité et transcendance, Le Livre de Poche, coll. «biblio», 2010, p. 167. (Dorénavant abrégé AT)
Ce texte a été l'objet de nos réflexions philosophiques lors de la réunion Trobienphilo du 11 juillet 2022
Comments