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Photo du rédacteurJacqueline Ripart

Les limites de la conception du chez-soi



Les caractéristiques du chez-soi sont liées aux normes et aux valeurs de chaque culture : notre représentation du « chez soi » est ethnocentrée. Impossible, donc, de nommer les caractéristiques absolues et universelles du chez-soi !

On peut cependant s’intéresser à l’étymologie de ce terme de la langue française : « chez-soi ». Et souligner l’importante du trait d’union, qui permet de caractériser une relation particulière entre un sujet (soi) et un espace (chez se rapporte à l’ancien français chiese, maison, hérité du latin casae, à la maison).

Ainsi, le « chez-soi » se définirait par opposition aux autres espaces (ce qui n’est pas chez soi).


Ce qu’en disent les Anciens...


Après que j’eus employé quelques années à étudier (ainsi) dans le livre du monde et à tâcher d’acquérir quelque expérience, je pris un jour la résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devais suivre. Ce qui me réussit beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse jamais éloigné, ni de mon pays, ni de mes livres.


Il se faut réserver une arrière­ boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude. En celle-ci faut­-il prendre notre ordinaire entretien de nous à nous-mêmes, et si privé que nulle accointance ou communication étrangère y trouve.

Chapitre XXXIX - DEe la solitude

"Essais", Michel de Montaigne, publiés entre 1580 à 1588


Intérieur et intimité


Revenons à casa, la maison.

Par nature, la maison est un « intérieur » - emprunté du latin interior (comparatif de interus : « qui est au dedans »).

L’intérieur évoque donc ce qui a rapport au dedans. Entre l’espace du dedans et celui du dehors, il a des limites : par exemple pour le corps, c’est la peau, pour la maison ce sont les murs.


Et, ce qui est le plus intérieur, superlatif défini par le terme latin intimus (superlatif de intus, dedans), c’est donc l’intime.


Selon la sociologue française Perla Serfaty-Garzon, le chez-soi abrite l’intimité de l’habitant. Ainsi, l’intime évoque le retrait et le retour vers soi ou vers un cercle de proches ; le retour à une intériorité́ que le philosophe Emanuel Levinas désigne comme « recueillement ».


Partir de chez-soi, c’est prendre le risque de la vie sociale

Rentrer chez soi, c’est chercher le repos en soi.


Voici ce qu’en dit la sociologue française Perla Serfaty-Garzon :

En posant les frontières du chez-soi, l’individu s’approprie son monde et trouve dans l’immobilité un moyen de satisfaire le besoin fondamental de protection. Et dans ce repli spatial, il trouve ensuite un repli intime sur lui-même.

Perla Serfaty-Garzon,

sociologue, psychosociologue, écrivaine et essayiste


Mais selon les travaux de cette sociologue, la maison ne va pas toujours de pair avec le chez-soi.


La maison suscite un imaginaire du blotissement, du repli sur soi et sur la famille, de la paix et de la liberté dont la force est mythique. Dans la réalité cependant, la vraie maison est un espace social, de partage, d’accords et de conflits, où le sentiment d’être chez-soi est constamment gauchi par les diverses réalités de la coexistence.

Perla Serfaty-Garzon,

sociologue, psychosociologue, écrivaine et essayiste


Chez-soi/chez les autres


Autre regard celui de Charlie Renard, professeure de philosophie et autrice de « Rester chez-soi : aliénation ou émancipation ? », pour qui tracer des frontières entre l’intérieur et l’extérieur, c’est apposer sa marque, son cachet personnel, c’est délimiter un lieu et en exclure l’autre.


Le « chez-soi », c’est l’espace qui aide à ne pas craindre le regard des autres, à se libérer des conventions, à être vraiment soi-même, par conséquent à se libérer des préjugés, à développer son intériorité, mais aussi sa créativité et sa réflexion.

Charlie Renard, professeure de philosophie,

« Rester chez-soi : aliénation ou émancipation ? »


Le « chez-soi « se définit par opposition aux autres espaces - ce qui n’est pas chez soi. On y voit les limites entre intérieur et extérieur. Le chez-soi participe donc d’un double processus : identification de soi et rejet de l’autre.

Charlie Renard, professeure de philosophie,

« Rester chez-soi : aliénation ou émancipation ? »


Cette conception manichéenne de l’espace (chez-soi/chez les autres) n’a-t-elle pas montré ses limites ? En dépassant l’opposition nature/culture, on pourrait imaginer un espace commun où chacun se sentirait chez-soi. Il est en tout cas urgent de repenser la place de l’homme dans le monde, son rapport à l’espace et aux autres vivants.

Charlie Renard, professeure de philosophie,

« Rester chez-soi : aliénation ou émancipation ? »,

article paru dans "La Pause philo" le 07/05/2020


La philosophe Charlie Renard conclut par un sujet brûlant d’actualité, à savoir la cohabitation de l’humanité avec le reste des vivants. Selon ses propos, l’être humain, qui est conscient de sa capacité de destruction, s’interdit certains espaces en les sacralisant. C’est pourquoi il fabrique des sanctuaires, tels les parcs nationaux, les réserves, les zoos et tous les espaces naturels qui fonctionnent par l’exclusion de l’humain. D’où la question qu’elle pose : « Est-ce la seule manière de concevoir la cohabitation de l’humanité avec le reste du vivant ? »


Ce texte a été l'objet de la réunion Trobienphilo du 12 septembre 2022

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