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Habiter la vie* ?





Préambule : qu’entendons-nous par « nature » ?


1 La nature-totalité

Tout ce qui a été, qui est et qui sera


Toutes les forces existant dans le monde

intérieur ou extérieur, tout ce qui se produit

sous l'action de ces forces.

John Stuart Mill (1874) - philosophe, logicien et économiste britannique


Tout ce qui arrive sans l’intervention de l’homme, ou sans son intervention volontaire ou intentionnelle.

John Stuart Mill (1874)


L'homme est la nature prenant conscience d'elle-même.

Élisée Reclus, dans son encyclopédie géo-historique

en 6 volumes - L'Homme et la Terre (1905)


2 La nature altérité

Cette part du monde que nous n’avons pas créée, en opposition à la culture.


La nature est forcément traduite en termes propres à une culture ; elle est intégrée au monde que l'homme est capable de concevoir, de percevoir et d'aménager. Dans ce cas, la nature ne se définit pas sans ou contre l'homme mais par l'homme.

Augustin Berque – géographe, orientaliste et philosophe

(Médiance. De milieux en paysages, 1990)



3 La pluralité des significations, d’après Johan Stuart Mills


Il met en évidence la pluralité des significations du terme de nature, qu’il juge être l’un de ceux les plus équivoques et devant faire l’objet d’un travail de définition précis. Il distingue ainsi plusieurs sens :

· D’abord, la nature est l’ensemble des propriétés d’un objet. C’est ce sens qui est employé lorsque nous parlons, par exemple, de la nature d’un livre : c’est ici un synonyme d’essence.

· Ensuite, la nature au sens général et physique renvoie à la somme de tous les phénomènes du monde, ainsi qu’aux conditions de leur apparition et de leur enchaînement : ce que l’on appelle les lois de la nature.

· Enfin, la nature renvoie à ce qui s’oppose à l'artificiel, à l’art, c’est-à-dire à ce qui arrive par l’activité des hommes. Du verbe latin nascor, la nature signifie ce qui se produit par soi-même, sans l’intervention technique de l’homme.


Autre point de vue...

Ce n’est pas la définition de la nature qui compte, c’est l’intelligence des rapports que l’on peut apprendre à renouer avec tel ou tel milieu et avec les êtres qui l’habitent.

Isabelle Stengers, philosophe belge ; « résister au désastre » - 2019



Rapport entre Nature et Vie.

La question « Habiter la vie ? "


1 D’abord la signification d’une expression : « La zone critique »

C’est là où il y a la vie sur la Terre. C’est l'environnement terrestre qui s'étend de l’atmosphère jusqu'aux roches non altérées.

Le Conseil National de Recherche au Canada définit ainsi la zone critique:

C’est la proche-surface de la Terre dans laquelle les interactions complexes entre la roche, le sol, l'eau, l'air et les organismes vivants régulent l'habitat naturel et déterminent la disponibilité des ressources vitales. En bref : la zone critique abrite presque toute la vie continentale, dont l'humanité.

Conseil National de Recherche au Canada


Et voici ce qu’en dit le sociologue, anthropologue et philosophe Bruno Latour

La Zone Critique, cette minuscule partie de la planète Terre que l’histoire de la Vie, avec un grand V, a modifié depuis quatre milliards d’années et à l’intérieur de laquelle nous sommes bel et bien enveloppés et pour ainsi dire roulés.

Bruno Latour


2 Puis une hypothèse, nommée « l’hypothèse Gaïa »

Dans la mythologie grecque, Gaia était l'une des plus anciennes déesses : la personnification de la Terre elle-même.

En 1970, le scientifique britannique James Lovelock a une idée révolutionnaire : il propose de penser la Terre comme un être vivant, comme un vaste superorganisme. Il travaille ensuite avec l'éminente biologiste américaine Lynn Margulis, et nomment cette théorie : l'hypothèse Gaïa. Puis les deux scientifiques écrivent ensemble leur premier article, développant la théorie selon laquelle le système planétaire de la Terre a évolué en se comportant comme un système de contrôle actif qui permet à la planète de s’autoréguler.

Ils expliquent par exemple que certains paramètres sur Terre sont restés stables pendant des centaines de millions d'années, notamment :

- niveaux d'oxygène dans l'atmosphère

- la salinité des océans

- la température de surface de la Terre


Leur conclusion est que, pour maintenir cet équilibre, tous les constituants organiques et inorganiques de la Terre sont liés, interconnectés. Cette interconnexion est suffisante, selon eux, pour considérer la Terre elle-même comme un organisme autorégulateur.


« Si la vie a pu prospérer sur la Terre, c'est parce qu'elle constitue une énorme entité composée d'interactions entre différents écosystèmes, comprenant la biosphère terrestre, l'atmosphère et les océans. Chacune de ses composantes – physiques, chimiques, biologiques – interagit de façon à maintenir un environnement optimal pour la vie ! »

James Lovelock (1974), penseur et scientifique britannique,

auteur de la théorie du collapse écologique et climatique


Les formes de vie, quel qu’elles soient, ne se contentent pas de s'adapter aux conditions qui prévalent sur Terre - elles conduisent et déterminent en fait ces conditions. Ces mécanismes de régulation sont similaires à ceux à l'œuvre dans le corps humain, que l’on nomme « homéostasie » : état d'équilibre intérieur de tout organisme vivant, face à des modifications du milieu extérieur (la chaleur provoque la sudation, la faim nous pousse à manger, la peur produit d’adrénaline, etc.).


Le concept Gaia est certes souvent critiqué par de nombreux scientifiques, ce qui ne l’empêche pas d’être très utile en tant que métaphore pour sensibiliser à l'interdépendance de toutes les formes de vie. Mais pourtant... où en est l’humanité aujourd’hui ?


Comme nous le savons, aujourd’hui, les humains perturbent de plus en plus les mécanismes de régulation de la Terre. Et, même si la Terre dans son ensemble est autosuffisante, cela ne signifie pas nécessairement que chaque espèce survivra. Certains scientifiques mettent déjà en garde contre l'extinction imminente de l'humanité, concluant que nous devrons changer nos manières de vivre, pour épargner la planète - parce que la planète, elle, ne nous sauvera pas.


En l'espace de deux générations, depuis les années 1950, nous voilà confrontés à l'anthropocène : l'obligation de prendre en charge la biosphère et l'atmosphère. Nous sommes contraints de repenser l'histoire humaine à échelle géologique, à la fois vers le passé et vers le futur, puisque nos émissions de carbone nous engagent pour les prochains dix mille, voire cent mille ans. C'est un éclatement des horizons qui donne le vertige : littéralement, la Terre se dérobe sous nos pieds.

Patrick Degeorge,

philosophe français chargé de mission au ministère de l'Ecologie


Autre question : pourquoi l’humanité a-t-elle tant de mal à réagir et à « faire attention » ?

Patrick Degeorge explique que c’est une tâche immense que de sentir des changements « globaux » quand on n'est pas soi-même un être « global ».


C'est toute la difficulté du changement climatique ; nous ne pouvons en faire l'expérience en tant que tel, car c'est une construction, un grand récit scientifique qui reste déconnecté de la vie quotidienne, en particulier dans les mégapoles globalisées où conditions et modes de vie nous insensibilisent.

Patrick Degeorge,

philosophe français chargé de mission au ministère de l'Ecologie



La conclusion de Catherine Larrère, philospohe française et professeure de philosophie émérite (Paris 1-Panthéon La Sorbone) :

Gaia s'en sortira toujours, qu'on soit là ou non, c'est le processus bactérien qui continue. Elle n'a pas besoin de nous, humains comme non-humains. Nous ne pouvons mettre fin à la nature, mais nous pouvons nous menacer nous-mêmes.

Catherine Larrère


* Ce texte a fait l'objet des réflexions et échanges lors de la réunion Trobienphilo, sur Zoom, le 12 décembre 2022.






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