Dans l’extrait commenté qui va suivre, Blaise Pascal nous invite à une sorte de voyage cosmique lui permettant d’évoquer la disproportion qui règne entre l’humain et la nature (tout ce qui n’est pas le fait de l’humain). Dans la première partie du texte (commenté), Pascal nous invite ainsi à élever notre pensée jusqu’aux réalités visibles et invisibles les plus hautes, afin de prendre conscience de notre incapacité à embrasser la totalité de la nature, du cosmos, de l’univers. Puis, en final, en revenant vers lui-même, chacun peut évaluer d’autant plus lucidement le lieu où il habite : « la terre, les royaumes, les villes et soi-même ».
Extrait des Pensées, Les deux infinis, fragment 185
Disproportion de l'homme - Blaise Pascal (1670)
Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent.
Nature ou cosmos, univers… Diriger le regard vers le haut, donc vers les astres de la voute céleste. Ces objets bas qui nous environnent sont bien le monde des affaires humaines, qui, en ce début de texte, ne sont pas sujets à contemplation.
Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent
C'est par la direction du regard vers la lumière solaire que Pascal nous invite à commencer ce voyage cosmique, cette lumière du soleil qui est l’éclat et la permanence du cosmos. Puis Pascal nous invite à voir la Terre, habitat de l’humanité, réduite à l’infiniment petit, à la dimension d’un point, d’un atome. De même pour le trajet de la Terre, infiniment petit dans la globalité du mouvement des astres.
Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir.
Pascal invite ici l’imagination à prendre le relais de nos sens, qui sont incapables d’aller plus loin dans cette démarche.
Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses.
Selon Pascal, aucune représentation intellectuelle (ou « idée »), n’est capable de voir, d’approcher ou d’imaginer la totalité de l’être du monde.
C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Dans cette sphère infinie il n’y a plus de repère, « la pensée se perd », et l’imagination n’a pas la puissance suffisante pour se représenter l’infini… On se promène donc en étant le centre, avec une circonférence (représenté par l’horizon) en mouvement. Nous pouvons voir ici l’égarement de la puissance imaginative dans sa tentative de concevoir l’infini.
L’objet de contemplation n’est pas Dieu ou son infinité, ni même les créatures, ou encore Dieu visible en elles, mais l’infinité de la nature.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Revenu à soi, un peu comme un retour à soi, après une nouvelle expérience, après un tour complet de la conscience sur elle-même. Il y a donc une nouvelle évaluation de soi, de sa dimension, de sa conscience. Relativement à la majesté de l’univers dont il s’agissait au début du texte.
Le lieu où habite l’être humain, soit la Terre, est ici réduit à un petit cachot. Tenter de prendre la mesure de l’univers incommensurable dans lequel nous sommes inclus, c'est aussi prendre conscience de la valeur de ce qui nous entoure ici-bas, les respecter en raison de la valeur intrinsèque de leurs objets spécifique
Puis, dans la deuxième partie du "fragment 185" qui va suivre, Blaise Pascal poursuit le voyage vers l’infini petit… vers le néant, posant la question de la place de l’humain « entre ces deux abîmes de l'infini et du néant ».
Mais pour lui (l'homme) présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.
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