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Être ou avoir ? Propriété ou appropriation ?


Bref rappel chronologique :-

- Les premières traces du genre « homo » datent d’au moins 400 000 ans (l’homo sapiens et l’homme de Néandertal qui disparait)

- Pendant près de 180 000 ans, l’homo-sapiens vit en mode chasseur-cueilleur et se déplace en clan ou en tribu

- Il y a près de 20 000 ans, certains groupes commencent à cultiver les plantes et apprivoiser les animaux, en résulte la sédentarisation (révolution du Néolithique, de 14 000 à 7 000 av. J.-C.)

- Il y a environ 2 000 ans, homo-sapiens achève sa conversion au mode majoritairement agriculteur/éleveur (le Croissant Fertile est parmi les principaux foyers de sédentarisation)


Que se passe-t-il alors, progressivement :

=> Appropriation des espaces pour la construction d’habitations fixes pour les humains et d’abris pour les animaux et pour les récoltes, puis regroupement des habitations en villages

=> Constitution de réserves alimentaires, abondance et surplus, donc premiers échanges entre groupes et entre villages

=> Création de nouvelles activités, division du travail et répartition des tâches

=> Début de la croissance démographique

De l’appropriation de l’espace à la propriété du sol

Nomade ou sédentaire, l’homo Sapiens a toujours eu besoin de s’abriter, de se protéger. Mais la révolution néolithique est le point de départ d’une différence fondamentale.

- L’habitat du nomade, en plein air ou sous abri, est provisoire (une heure, une journée, une saison). Les groupes humains sont alors attachés à des territoires plutôt qu’à un lieu fixe.

- Le sédentaire, lui, s’installe à un endroit qu’il choisit, son habitat est fixe et définitif ; il s’approprie l’endroit puis va tenter de dominer la nature et de la transformer pour mieux l'utiliser.

Aujourd’hui, la plupart des historiens s’accordent pour dater la naissance de la propriété vers 2 500 ans av. J.C., à l’époque où les terrains furent pour la première fois découpés en champs individuels. Puis c’est à l’époque de l’empereur Justinien (527 - 565) que le doit romain reconnaît au propriétaire un plein pouvoir sur la chose : le droit d’user de la chose, le droit de jouir de la chose et celui de disposer de la chose.


En France, au sein de la société agricole de l’Ancien Régime, on voit que l’intérêt principal du propriétaire foncier réside dans le droit d’exploiter le produit de la terre cultivée. La moitié des terres du royaume est détenue par une multitude de roturiers ; et, pour être propriétaire, le petit paysan doit payer une infinité d’impôts à son seigneur qui est le maître du domaine.


Dans son premier « Traité du gouvernement », le philosophe anglais John Locke (1632 – 1704) fonde « le droit à la propriété privée sur le travail individuel conformément à la loi naturelle »

Il soutient que « La quantité de terre qu’un homme laboure, plante, amende et cultive, et dont il peut utiliser le produit, voilà ce qui définit l’étendue de sa propriété. Par son travail, il l’enclot, pour ainsi dire, en la séparant de ce qui est commun ».


Puis les législateurs du Code civil promulgué le 21 mars 1804 en France, vont transformer la nature juridique des terres et des propriétés immobilières. « Jusque-là considéré comme un outil de production, le sol a acquis une dimension nouvelle : il s’est transformé en un patrimoine dont la valeur est garantie sur la longue durée. Transmissible entre générations, ce patrimoine, outre les fruits qu’il procure, est devenu un élément central dans l’assurance sociale que les ménages cherchent à obtenir, pour eux comme pour leurs descendants. » - Robert Castel, sociologue et philosophe français (1933 – 2013).


Parmi les fervents défenseurs du droit d’occupation des sols par tous, l’anarchiste français Pierre-Joseph Proudhon écrit, dans son premier ouvrage (Qu'est-ce que la propriété?, 1840) : « Je prétends que ni le travail, ni l’occupation, ni la loi ne peuvent créer la propriété (…). La propriété, c’est le vol... ».


Avec le développement de la société industrielle, le travail est extériorisé en dehors de l’espace de vie et la maison devient un refuge pour la famille nucléaire. L’accession à la propriété de ce refuge se développe avec les années de prospérité et le développement des crédits logements dans les années 1950.


Acheter un logement, c’est affirmer son identité: "j’habite donc je suis".

Le logement devient fondamentalement important dans la vie de nombreux citoyens, car il est désormais à la fois le lieu des projections de soi et le lieu où se définit son rapport à soi et son rapport au monde. Dès lors, le type de classe sociale se détermine par le fait d’être locataire ou propriétaire, et par le niveau de revenu et de patrimoine ainsi que par des éléments de prestige personnel.


Si certains assument une adresse un peu plus "populaire » de leur domicile, ceux attachés à une image de réussite sociale cherchent des quartiers plus bourgeois. L’effet de conformité agit comme une pression sociale de sorte qu’à partir d’un certain âge, la norme est d’être propriétaire. Dès lors, la propriété renvoie aux notions de stabilité, de permanence, de sécurité et de contrôle


Au vu de la crise environnementale qui constitue certainement l’un des plus grands défis du XXIe siècle, la propriété de la Terre ainsi que et le droit de l’environnement préoccupent certains d’entre nous autant que des philosophes, chercheurs, sociologues et autres spécialistes comme la juriste et enseignante-chercheuse Sarah Vanuxem. Dans son livre « La propriété de la terre » (2018), Sarah Vanuxem démontre, contre la doctrine dominante, que la propriété ne peut pas être conçue comme ce « pouvoir souverain dʼun individu sur les choses ».


Même dans le droit moderne, dans le code civil lui-même, dans ses racines romaines et médiévales, la propriété est prise dans la communauté – les choses sont enracinées dans le commun (ou ressources partagées). Les recherches de Sarah Vanuxem apportent une contribution précieuse à la puissante résurgence actuelle des communs, en définissant la propriété non plus comme un rapport de domination mais comme une faculté : la faculté d’habiter un milieu et d’y déployer un agir, un agir commun.


Ce texte a été présenté par son auteur, le 9 mai 2022, lors de la réunion en visio-conférence du groupe Trobienphilo

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